Vacances maltaises
En avril 1995, j’arpentais les rues raides de La Valette, écrasées de soleil. La Valette point de départ et de raliement pour une visite complète de l'île et de aussi de Gozzo. Au programme: Mdina, Rabat, Salina,MArsaklokk, Salina, San Julian, les sites mégalithiques de Mnadra, Tarxien...
 J'ai donc commencé par arpenter les rues étroites et pentues de La Valette. La pierre claire réfléchissait la chaleur et mes pas glissaient parfois sur le sol poli par des siècles de passage. Mon appareil battait contre la hanche, toujours prêt, mais je m’arrêtais souvent, le souffle court, pour regarder autour de moi.
Les façades étaient serrées, les balcons de bois vert pâle s’avançaient comme des boîtes, certains peints depuis peu, d’autres rongés par le sel. J’apercevais, derrière une porte entrouverte, l’ombre d’un intérieur frais. Sur un perron, une vieille femme assise dans son fichu me regardait passer sans un mot.
À chaque tournant, la mer surgissait. Le bleu vif du port découpait la perspective, rappel constant que la ville était une citadelle dressée sur l’eau. Dans une ruelle, deux gamins me frôlèrent en courant, poursuivis par les éclats de rire de leur frère. Plus haut, un prêtre refermait à double tour la porte massive d’une église baroque.
Le soir venu, les façades s’assombrissaient, la pierre dorée prenait une teinte ocre. Je redescendais vers le port, les jambes lourdes, mais la tête pleine d’images. Je ne savais pas encore lesquelles resteraient. Mais je savais déjà que je me souviendrais logntemps de ces vacances maltaises.
Ce matin-là, j’étais descendu au terminus de La Valette pour prendre un bus en direction de Salina. Sous les remparts, la file des véhicules attendait, alignée comme une escouade d’un autre âge. Les carrosseries vertes et blanches brillaient sous le soleil, chacune avec sa personnalité : un Ford à la calandre massive, un Leyland aux chromes exubérants, un Bedford un peu cabossé mais toujours vaillant.
L'odeur du gasoil emplissait l’air, un grondement sourd ponctué d’à-coups rauques quand un chauffeur donnait un coup d’accélérateur. Devant le snack « Diana », certains chauffeurs prenaient un café en attendant leur tour, chemise claire ouverte, cigarette aux lèvres. Les moteurs continuaient de vibrer, comme s’ils n’acceptaient jamais vraiment de s’éteindre.
Je montai à bord d’un bus marqué « SALINA » en grosses lettres rouges. L’intérieur était sommaire : banquettes de skaï rigide, vitres coulissantes qui résistaient quand on les poussait, odeur tenace d’huile chaude et de poussière. Je m’assis côté fenêtre. Le chauffeur enclencha la vitesse d’un geste sec et nous voilà partis, brinquebalés dans les ruelles qui descendaient vers la mer, avant de s’élancer vers la campagne.
Mdina La vieille ville se tenait sur son plateau, enfermée dans ses murailles. On y entrait par une porte monumentale, puis on avançait dans un réseau de ruelles étroites, pavées et silencieuses. Peu de circulation, seulement des pas résonnant contre la pierre claire. Derrière les lourdes portes de bois, quelques cours ombragées. L’ensemble donnait l’impression d’une ville figée, habitée mais presque immobile.
Rabat Juste à côté, Rabat offrait un autre visage : rues plus animées, petites échoppes, linge aux balcons. Dans les faubourgs, les catacombes s’enfonçaient sous terre. L’air y était lourd, l’éclairage faible, et les couloirs s’étendaient en un dédale de niches et de tombes creusées dans la roche tendre. On ressortait à la lumière avec un léger vertige, avant de retrouver l’agitation de la ville.
Marsaxlokk Au port de Marsaxlokk, les barques de pêche, les luzzu, s’alignaient, peintes de bleu, rouge et jaune, avec leurs yeux protecteurs à la proue. Le marché se tenait le long du quai : poisson frais, légumes, ustensiles, souvenirs. L’odeur du sel et du gasoil flottait, mêlée à celle du poisson encore luisant. Le village vivait au rythme des arrivées et départs des bateaux, plus que du passage des visiteurs.
Les Trois Cités Depuis La Valette, j’avais traversé à pied pour rejoindre Vittoriosa, Senglea et Cospicua. Le port était occupé par le grand chantier naval : bassins, grues, odeurs de métal et de peinture fraîche. Mais dès qu’on s’éloignait, les ruelles s’ouvraient sur de petites criques calmes, avec des barques amarrées et du linge qui séchait aux balcons. À Vittoriosa, le fort Saint-Ange dominait tout le Grand Harbour, masse de pierre compacte tournée vers la mer. On marchait sur les quais, au plus près de l’eau, puis on remontait dans un lacis de rues étroites. Moins fréquentées par les touristes, ces villes donnaient l’impression d’un quotidien resté intact, en marge de l’animation de La Valette.
À Salina, les anciennes salines s’étendaient en bord de mer. Des bassins carrés et rectangulaires, creusés dans la roche, formaient un vaste damier. Beaucoup étaient abîmés, les arêtes rongées par le temps, les rigoles encombrées. Quelques-uns contenaient encore de l’eau, remplis par les vagues qui venaient déborder sur les premiers rangs. L’odeur du sel se mêlait à celle des algues sèches. La mer frappait fort ce jour-là, projetant parfois des embruns jusque sur les bassins. En arrière-plan, la jetée et les immeubles récents rappelaient que le site était désormais en marge de la vie quotidienne. On avait l’impression d’un lieu laissé à lui-même, mais qui conservait sa structure et son usage ancien visibles au premier coup d’œil.
Sliema Sliema s’étirait le long de la côte, avec ses immeubles modernes face à la mer. Les promenades en front de mer étaient larges, bordées de bancs et de kiosques. Des cafés, des magasins, des agences de voyage s’alignaient, donnant à l’ensemble un air plus tourné vers les visiteurs que vers les habitants. La mer, toujours présente, venait frapper contre les rochers plats où certains s’installaient pour se baigner.
St Julian’s Un peu plus loin, St Julian’s paraissait en pleine transformation. Autour de la baie, les restaurants et bars commençaient à se multiplier. Quelques bateaux de pêche restaient encore dans le petit port, mais déjà les enseignes lumineuses annonçaient une station plus animée le soir. C’était moins pittoresque que Marsaxlokk, mais révélateur de l’évolution rapide de l’île vers le tourisme.
Sites mégalithiques Au sud de l’île, près de la côte, se trouvaient les temples de Ħaġar Qim et de Mnajdra. Des blocs immenses, dressés ou couchés, formant des murs épais et des portes monumentales. On y accédait par un chemin de terre, sans grande signalétique. Le site paraissait presque livré à lui-même. Le calcaire était rugueux, usé par le vent et le sel. À travers les ouvertures, on voyait la mer toute proche. L’impression dominante était celle d’une architecture à la fois simple et démesurée, sans autre explication que le temps qui avait survécu autour.
Ħaġar Qim Situé sur une hauteur, à proximité de la mer. Ensemble de gros blocs calcaires dressés, certains dépassant largement deux mètres. Organisation en couloirs et absides, avec des portes en linteau. Peu d’aménagements à l’époque : chemin de terre, barrières simples. Vue dégagée sur la côte. Impression de masse et d’ancienneté brute.
Mnajdra Un peu plus bas, vers la mer. Temples plus petits mais disposés avec soin. Alignement orienté vers l’horizon. Les murs en pierre étaient encore bien visibles. La mer proche donnait un contraste fort entre le bleu et l’ocre de la roche. Lieu plus isolé, moins de visiteurs. Atmosphère plus sobre.
Tarxien Dans une zone habitée, entouré de maisons modernes. Les structures étaient protégées par un petit site clôturé. Pierres sculptées, bas-reliefs d’animaux et de motifs géométriques. Le contraste frappait entre ces vestiges très anciens et le quartier tout autour. Moins impressionnant par la taille, mais riche en détails.