Un couple agé en Chine

8 juin 2025 – Une bonne histoire pour le diner

L’air est doux, et la lumière commence décliner en cette fin d’après-midi à Linyi dans le Shandong, en Chine. Je marche sans but précis, mon appareil photo en bandoulière, guettant ces petits instants suspendus qui rendent la rue si vivante.

Et puis, je les vois.
Un couple âgé, assis devant une boutique aux couleurs éclatantes. La dame rit, un éclat franc, chaleureux. Le vieil homme est plus réservé, mais il sourit tout de même, à sa manière, avec cette retenue élégante que l’on voit souvent chez ceux qui ont traversé les années sans perdre leur douceur.

Je m’arrête à une distance raisonnable. Ils m’ont remarqué, bien sûr. J’attends un instant, observe. Puis, dans un geste universel, je montre mon appareil, un regard interrogatif.

La vieille dame éclate de rire. Elle tapote le bras de son mari, comme pour lui dire « Allez, laissons-nous faire, amusons-nous ! »

Je déclenche une première fois. Un sourire s’élargit, des regards s’échangent. Puis une deuxième. À chaque image, je m’approche un peu plus, montre l’écran, et eux découvrent avec amusement leur propre reflet figé dans le temps. La distance se réduit, la confiance s’installe.

Un acteur et un couple agé en Chine

Et puis, comme s’il avait senti qu’il était temps d’apporter sa touche au tableau, M. Zhang entre en scène.
Un homme élancé, au port assuré. Il s’arrête près de moi, jette un coup d’œil aux photos, puis, sans prévenir, adopte une posture digne d’un acteur d’opéra chinois.

Je souris derrière mon viseur. La dame rit aux éclats, applaudissant presque. Le vieux monsieur secoue la tête, faussement exaspéré mais amusé.

M. Zhang continue son spectacle, alternant les poses avec une assurance théâtrale. À chaque clic de l’obturateur, il se réinvente. Je montre les clichés après chaque prise, et cela devient un jeu, une boucle joyeuse où chacun réagit à l’image précédente, cherchant à se surpasser.

Le temps passe. Je ne compte plus les photos.

Finalement, je baisse l’appareil et les remercie, un sourire sincère. La vieille dame me fait un signe de la main, M. Zhang s’incline avec une révérence exagérée, et le vieux monsieur, discret mais complice, hoche lentement la tête, comme pour dire « C’était bien. »

Je repars, laissant derrière moi leur rire qui résonne encore dans la rue.

Le soir venu dans la petite maison des Yu Shen, un dîner tranquille se prépare


Dans la petite salle à manger, la soupe de canard mijote doucement, remplissant l’air de son parfum réconfortant. M. Yu Shen ajuste ses lunettes en servant un peu plus de bouillon à sa femme. Il aime ces repas du soir où l’on prend le temps de parler, de raconter la journée.

Assis en face, leurs deux amis échangent un regard complice.

« Vous n’allez pas croire ce qui nous est arrivé cet après-midi ! » commence la vieille dame, un sourire malicieux au coin des lèvres.

M. Yu Shen hausse un sourcil. « Encore une de tes histoires, Madame ? » demande-t-il en plaisantant.

« Cette fois, c’est vrai ! Un étranger est venu nous prendre en photo ! »

Mme Yu Shen repose ses baguettes. « Un étranger ? Et pourquoi vous ? »

Le vieux monsieur se racle la gorge avant de répondre calmement. « Parce qu’on était beaux, évidemment. »

Un silence. Puis un éclat de rire général.

« Oh ! Ce n’est pas une blague, il était là, avec un appareil photo magnifique, et il nous a observés un moment avant de commencer à prendre des clichés. Moi, j’ai trouvé ça amusant tout de suite, mais lui… » Elle pointe son mari du doigt. « Il était un peu méfiant au début ! »

Le vieux monsieur lève les mains en signe de protestation. « Je voulais juste comprendre ce qu’il faisait ! »

Mme Yu Shen sourit. « Et alors ? »

« Alors, il nous montrait les photos après chaque prise. Et tu sais quoi ? » La vieille dame tape sur la table avec enthousiasme. « On était magnifiques ! »

M. Yu Shen secoue la tête en riant. « Et ça vous a amusés ? »

« Attends la meilleure partie ! » dit-elle en baissant la voix, comme pour créer du suspense. « Tu sais qui est arrivé à ce moment-là ? »

Un silence.

« M. Zhang. »

Mme Yu Shen écarquille les yeux. « Pas possible ! »

« Oh que si ! » répond le vieux monsieur, un sourire en coin. « Et bien sûr, il s’est mis à jouer la comédie. Il a commencé à poser comme un acteur d’opéra chinois. »

Mme Yu Shen éclate de rire. « Il ne peut pas s’en empêcher, celui-là ! »

« Exactement. Et plus le photographe riait, plus il en rajoutait ! Il changeait de pose à chaque clic, il faisait semblant d’être un héros, un général, un prince en exil… On aurait dit qu’il était sur une vraie scène ! »

M. Yu Shen essuie une larme de rire. « Ce Zhang… toujours le même. Et l’étranger, il a réagi comment ? »

Le vieux monsieur sourit doucement. « Il a juste baissé son appareil à la fin, nous a regardés et a remercié. Comme s’il avait capté quelque chose d’important. »

Un léger silence s’installe, brisé seulement par le doux bruit des cuillères dans la soupe chaude.

« C’était un beau moment. » murmure la vieille dame en reprenant son bol.

Mme Yu Shen acquiesce, pensive. « Vous savez quoi ? La prochaine fois qu’il revient, vous l’invitez à dîner. Après tout, il a déjà partagé un moment avec vous, autant lui faire goûter la meilleure soupe de canard du quartier ! »

Tout le monde rit de bon cœur, tandis que dehors, la nuit descend doucement sur la ville, portant avec elle l’écho d’un après-midi pas comme les autres.