Un homme se repose au soleil

14 juin 2025 Rêverie au soleil

Le creux de la lettre, le “C” du CNIT, soutient mon dos comme s’il avait été conçu pour ça. Je n’avais rien prévu, je me suis laissé tomber là, presque par hasard. Le métal a gardé la tiédeur du soleil, et je sens cette chaleur se diffuser lentement dans mes omoplates. Sur mon visage, la lumière tape, douce mais insistante. Ce n’est pas désagréable. Bien mieux qu’un banc de béton, plus intime aussi. Comme si ce morceau d’architecture m’accordait un appui, une place.

Je sais pourtant que je ne dois pas fermer les yeux trop longtemps. Dix minutes, pas plus. Après, ils penseront que je me planque, que je fuis le travail. Alors je reste aux aguets, à moitié allongé, suspendu entre veille et abandon.

Les gens passent autour de moi, pressés, absorbés par leurs écrans, leurs casques vissés sur les oreilles. Leurs pas claquent, rythmés, indifférents. Je les entends mais je ne fais pas partie de leur monde. Je n’apparais pas dans leurs mails, je ne figure pas dans leurs rendez-vous, je suis transparent.

Je pense au contremaître. Lui, il sait. Il m’a vu ce matin, trois étages d’un coup avec les sacs de gravats, les bras en feu, le souffle court. Il ne dira rien. Il a compris que je faisais ma part.

Alors oui, j’ai le droit de souffler. Un peu. Quelques minutes arrachées au vacarme. Ce n’est pas du luxe, c’est une nécessité.

Je suis invisible tant que je ne dérange pas. Mais il suffirait que je m’étale davantage, que je bloque le passage, et soudain j’existerais. On me verrait, on me chasserait, comme si mon absence de mouvement devenait une offense.

Je devrais me lever. Repartir. Il est temps, je le sais. Mais je m’accroche à cette parenthèse. Encore une minute. Juste une minute de plus. Après, oui, je repartirai. Mais pas tout de suite.